Une vie de bergers
À l’heure où éclosent les rhododendrons, Pascale et Raymond Riera, éleveurs et bergers, prennent de la hauteur. Du 15 juin à début octobre, voilà qu’ils quittent leur élevage de Saint-Michel-l’Observatoire, en Provence, pour offrir à leurs brebis la fraîcheur et l’herbe grasse du plateau de Sornin. Cap sur une tradition ancestrale : la transhumance en Vercors. Une vie de bergers
Textes : Anne-Laure Biston
Photos : Judicaël Rey


« L’objectif est qu’en fin d’estive, les brebis redescendent bien rondes ; et ça marche ! », sourit Pascale, 66 ans, bergère et grande amoureuse de la nature. “Contaminée” très jeune par la passion dévorante de son mari pour les bêtes, elle ne craint ni la solitude en montagne ni le loup. Là-haut, à 1 550 mètres d’altitude, dans l’Espace naturel sensible (ENS) du plateau de la Molièreet de Sornin, le quotidien s’organise au rythme du troupeau.
Devant leur cabane, face au massif de Belledonne, ils nous accueillent autour d’un café fumant, avec leurs petits-enfants, Théo et Jules, 11 et 7 ans, et Romane, 14 ans, la cousine. Sous la table, Pat, l’impressionnant patou, est allongé pendant que chaument les brebis. A notre arrivée, sur les conseils de Raymond, une pause et une caresse sur le museau ont mis l’animal en confiance… Et nous aussi !
Enfant du pays, (Villard-de-Lans pour Raymond et Autrans pour Pascale), ils connaissent les alpages comme personne. « Nous avons estivé pour la première fois dans le Vercors en 1978, c’était à Côte 2000 », se souvient Raymond, 69 ans. « Depuis, nos chemins de transhumance mènent chaque été sur l’alpage de Sornin ».
Le loup à souvent le dernier mot !
« Berger, c’est un vrai métier », engage Pascale. « On n’est pas des doux rêveurs les fesses dans l’herbe ! Il faut avoir le sens de l’observation et de l’anticipation, car il y en a un qui déjoue toutes les mesures de protection autour des brebis : le loup ! Il a souvent le dernier mot, difficile d’être plus malin que lui », déplore Pascale. « Il y a quelques temps encore, il me faisait péter un câble, mais au fil des années, nous avons adapté notre stratégie pour limiter la prédation ». Raymond explique avoir augmenté le nombre de chiens de protection autour des brebis. « Six Montagnes des Pyrénées, (qui travaillent à l’instinct) et deux Border collie, (qui interviennent sur notre ordre) veillent sur les 700 bêtes ». Cela n’est pas sans conséquence sur le partage de l’espace avec les randonneurs et les trailers, de plus en plus nombreux. « Ils oublient parfois qu’ils vont faire face à une meute, et là, c’est une autre histoire ! ».



L’alpage, un territoire pour tous
Traversé par un GR®, « l’alpage reste un territoire pour tous », assure Pascale, « et quand on dialogue, ça se passe bien. Il y a toujours de belles histoires à la clef ». Très ouvert à l’échange, le couple rappelle sans cesse les fondamentaux : « garder ses distances avec le troupeau et rester immobile le temps d’habituer le chien à votre présence ». Il y a aussi les nombreux panneaux d’information qui jalonnent les sentiers et les animations de sensibilisation organisées à l’alpage, mais les pratiquants de la montagne sous-estiment encore le risque.
Balayant du regard les ondulations chatoyantes du paysage, Raymond ajoute : « j’ai l’impression que beaucoup méconnaissent encore l’utilité du pastoralisme dans la protection de la biodiversité et le maintien de paysages ouverts. Sans les troupeaux, il n’y aurait que forêt et broussailles, donc pas de chemins ! » ... Et sans doute pas de terroirs d’exception à l’origine de nos AOC*.
Casquette “Massey-Fergusson” vissée sur la tête, Théo, Jules et Romane sont eux-aussi tombés dans la marmite de l’élevage : « Plus tard, on sera berger ! ». Aucun doute, le moment venu, ils perpétueront la tradition parentale et familiale et prendront le bâton pour la transhumance.
*AOP : Appellation d’origine contrôlée



Posté le 20 juin 2025 à 15:38